Le
Brésil, de par ses dimensions continentales, est un pays de
contrastes : les distances, la dispersion de la population,
les inégalités sociales ne facilitent pas l’accès à
l’éducation. Cette dernière est cependant indispensable
pour créer des citoyens capables de s’insérer dans un
monde marqué par de rapides
transformations scientifiques et technologiques. Afin d’améliorer
le niveau d’instruction des habitants, le gouvernement et
la société civile ont décidé d’investir dans les
nouvelles technologies et de les introduire largement dans
le système scolaire. De fait, un double défi s’impose :
offrir l’éducation à tous et développer des projets qui
répondent à des exigences de qualité.
Après avoir dressé un bilan de l’éducation au Brésil,
nous évoquerons des projets éducatifs qui ont été mis en
place. Nous terminerons en analysant plus minutieusement
l’expérience originale de “Multirio” à Rio de
Janeiro.
Avant
d’évoquer le système éducatif proprement dit et ses
caractéristiques, rappelons quelques chiffres concernant le
contexte brésilien. Le pays a une population d’environ
165 millions d’habitants répartie de façon hétérogène
sur un vaste territoire de 8,5 millions de km² ; il est
divisé en 26 états et un district fédéral où la
politique et les moyens réservés à l’éducation sont
variables. Enfin
78% de la population est
concentrée dans les zones urbaines ; les 22% restants vivent dans des régions
rurales. Les chances d’accéder à l’éducation et à
une formation de qualité vont donc dépendre de facteurs économiques,
spatiaux et sociaux.
Le
système éducatif brésilien est organisé en deux niveaux
: l’enseignement fondamental (de 3 à 18 ans) et
l’enseignement supérieur ( au-delà de 18 ans).
L’enseignement fondamental qui nous intéresse plus
directement se
subdivise en 3 périodes : l’école maternelle (3-6 ans),
l’école primaire et secondaire correspondant au
“premier cycle” (7-14 ans) et le Secondaire dit aussi “deuxième cycle”.
Un
tiers des brésiliens se rend tous les jours à l’école,
soit en tant qu’élève soit en tant que professeur. Ce
pourcentage correspond à la population de la France. En
1998, les différents niveaux d’enseignement comptaient
2,2 millions de professeurs
pour 50,3 millions d’élèves. Parmi ces élèves,
la majorité est inscrite dans le premier cycle (36,1
millions) ; le deuxième cycle et l’enseignement supérieur
sont relativement peu fréquentés (7 millions d’inscrits
dans le premier et 2,1 millions dans le second).
Effectivement, 65% des brésiliens de plus de 15 ans ne font
pas 8 ans d’études, le minimum déterminé par la
Constitution Brésilienne. La moyenne nationale de scolarité
est de 6 ans par habitant, à peine la moitié de ce que
l’Unesco considère comme l'idéal pour dépasser le seuil
de pauvreté.
Certains
chiffres sont cependant encourageants : 96% d’enfants et
d’adolescents de 7 à 14 ans sont inscrits dans le premier
cycle ( données proches de celles des pays développés).
De 1990 à 1998, le taux d’analphabétisme de la
population de 15 ans et plus est passé de 20,1% à 13,8 %.
Ces trois dernières années, les inscriptions d’élèves
de 15 à 18 ans ont augmenté de 52% par an. En revanche,
seulement 37% des jeunes de 15 à 18 ans sont vraiment
inscrits au lycée et dans des cours de formation
professionelle.
Environ
50% des élèves de l’enseignement fondamental (0-18ans)
sont dans des classes qui ne correspondent pas à leur age.
L’abandon scolaire (11%) et le taux de redoublement du
premier cycle (23%) sont encore très élevés. Remarquons
aussi que 20% des professeurs n’ont pas la formation
requise pour exercer.
Afin
d’harmoniser l’enseignement avec les exigences du marché
actuel et d'assurer au pays un contexte éducatif compatible
avec ses défis, le Brésil doit donc prendre des mesures énergiques.
Ses défis ne seront jamais surmontés si les médias et les
nouvelles technologies présentes dans tous les secteurs économiques
ne sont pas intégrés dans l’enseignement. C’est ce que
nous nous proposons d’étudier ci-dessous.
La
radio, la télévision et l’informatique jouent un rôle décisif
dans la recherche de solutions pour les problèmes
concernant l’analphabétisme, l’éducation fondamentale
(plus particulièrement pour ceux qui n’ont pas fréquenté
l’école quand ils auraient dû) et la formation des
professeurs. La radio est présente dans 90% des foyers,
sans compter les walkmans et les voitures. La télévision
est présente dans 87% des foyers et touche toutes les
classes sociales. Dans le pays, 4 millions de brésiliens
ont accès à Internet et cet accès augmente de 50% par an.
Le Brésil occupe la troisième place en nombre de sites sur
le continent américain, après les Etats Unis et le Canada.
Grâce
aux mass-médias et aux technologies de pointe, les
campagnes de formation dans ce pays de contrastes ont connu
différentes étapes : celle de l’enseignement par
correspondance, celle de la transmission radio, celle de la
transmission télévisée et enfin l’utilisation de
l’informatique souvent liée aux médias cités auparavant.
Conscient
de l'urgence de faire accéder l’ensemble de la population
aux biens d’information, d’éducation et de culture, le
gouvernement brésilien
encourage les initiatives publiques et privées visant la création
de sociétés et d'organismes de production d'émissions éducatives.
Quelques
exemples méritent d'être cités : la Televisão Educativa
(réseau publique de télévision éducative), la TV Escola,
le Pro Info et la TV Futura (société privée).
De
1991 à 1997, le réseau de la "Televisão
Educativa" a produit et diffusé sur ses 26 chaînes
des programmes éducatifs et culturels. L'émission "Um
salto para o futuro" (Un saut vers le futur) suivie
tout particulièrement par les professeurs des classes
primaires reposait sur la combinaison de plusieurs médias ;
elle répondait à la demande de plus d'un million de
professeurs du pays.
La
diffusion de la TV Escola, chaîne créée par le Ministère
de l'Education brésilien en 1995 a lieu sur le réseau de
la Télévision éducative. La TV Escola couvre tout le pays
; son but principal est la formation des professeurs du réseau
public et l'amélioration de la qualité de l'enseignement
par l'intermédiaire d'une chaîne consacrée exclusivement
à l'éducation. La programmation est retransmise dans tout
le pays à travers le satellite Brasilsat ; elle est
enregistrée sur bandes vidéo pour l'utilisation des
professeurs et des élèves. Des brochures imprimées complètent
les programmes télévisés ; 96% des écoles du pays ayant
plus de 100 élèves inscrits dans le premier cycle en bénéficient.
Le
ProInfo - Programme national d'Informatique - du Ministère
brésilien de l'Education a été conçu pour assurer
l'insertion de l'ordinateur dans le quotidien scolaire. Ce
programme est réalisé en partenariat avec le gouvernement
des états brésiliens en système décentralisé. Les états
choisissent les écoles qui seront privilégiées par le
ProInfo. Le Ministère n'installe les ordinateurs que dans
les écoles qui ont préparé les professeurs à assurer la
meilleure utilisation pédagogique des équipements. Les
objectifs à atteindre avant la fin 2000 sont l'installation
de 100 000 ordinateurs dans 6000 écoles et la formation de
25 000 professeurs et 600 techniciens qui travailleront dans
les 200 Centres d'éducation technologique dispersés dans
le pays.
En
collaboration avec le gouvernement nord-américain, le LTNet
est né : il s'agit d'un réseau de technologies
d'apprentissages dont l'objectif est de constituer une
source d'informations sur les technologies de l'éducation.
Ce lieu de rencontre on-line permet l'accès à une
information de qualité et l'échange d'expériences entre
professeurs et spécialistes.
TV
Futura est un projet privé de télévision éducative qui
atteint les points les plus lointains du pays avec une
programmation diffusée 24 heures sur 24. Le public scolaire,
les éducateurs, les étudiants, les femmes au foyer et les
travailleurs sont visés. A travers le Telecurso 2OOO, elle
cible les Brésiliens qui n'ont pas eu accès à l'école au
moment voulu. Elle forme aussi des professeurs pour
travailler dans ses projets.
Après
avoir passé en revue des projets essentiels pour la
formation des Brésiliens , nous allons donc aborder le
dernier volet de notre exposé
en nous attardant sur une expérience originale menée
à Rio de janeiro. En effet, Multirio (Entreprise municipale
de multimédia) s'inspire de tous les projets cités
auparavant.
Cette
expérience est née au moment où la Mairie de Rio de
Janeiro a décidé de réfléchir sur la ville. Rio de
Janeiro est une mégalopole comme tant d’autres avec
d’innombrables problèmes provoqués par la croissance
urbaine : violence, détérioration des rapports humains,
solitude, angoisse et surtout méconnaissance de la ville en
tant qu’espace de la civilisation, de la civilité et de
la citoyenneté. D’après la commission réunie, la
principale cause de la dégradation de la vie urbaine est le
manque de préparation de la ville elle-même et de ses
habitants à faire face au processus de développement et
aux changements que la modernisation impose au quotidien.
Les nouvelles techniques doivent être mises au service de
la civilisation, de l’intégration et de l’éducation.
C’est à l’école, espace de socialisation et de
construction de la connaissance, que l’enfant doit être
préparé à affronter l’avenir de façon positive.
Dans
cette optique, Multirio est un centre de réflexion où s’échangent
des idées et se créent des actions éducatives véhiculées
à travers plusieurs médias
: le support écrit, la télévision et l’informatique. Le
Secrétariat Municipal à l’Education est responsable de
ce plus grand réseau d’éducation d’Amérique Latine
pour les enfants du premier cycle. Multirio , financé par
la Municipalité, touche à ce jour 1029 écoles, 3400
professeurs et environ 700 000 élèves.
Cette
entreprise correspondrait à un Centre Régional de
Documentation Pédagogique en France. Les émissions pédagogiques
et culturelles produites s’adressent aux élèves de
l’enseignement fondamental. Elles ne sont pas diffusées
sur une chaîne indépendante mais sur deux autres chaînes
déjà existantes.
TV
Educativa
diffuse une émission du lundi au vendredi de 9h à 9h30 ;
le samedi, de 18h à 19 h,
“Le forum des parents” est une émission
interactive où les enfants et les adultes échangent des idées
sur des thèmes comme la drogue par exemple. Le dimanche,
c’est au tour des jeunes de s’exprimer (“Na
Arquibancada” / “Dans les gradins”). Notons que le
mardi et le vendredi (20H-20h30) puis le samedi (17h-17h30),
des émissions culturelles sont programmées (littérature,
art, histoire...).
TV
Bandeirantes, quant à elle, propose des programmes éducatifs
2 heures par jour (7h-8H/14h-15h). L’originalité de cette
chaîne est de diffuser aussi des émissions interactives
qui s’adressent aux professeurs. Ces derniers ont
l’occasion de
poser des questions soit directement aux spécialistes soit
par le biais d' Internet.
Ces
émissions au ton très ludique remportent un énorme succès
mais certaines écoles rencontrent encore des difficultés
pour les capter. Aussi, des coffrets de cassettes contenant
l’essentiel des programmes de Multirio vont être conçus
régulièrement : les multikits. Le premier multikit a été
distribué dans les écoles en septembre 2000. Ce kit
contient une série de cassettes vidéo et une mallette de
fiches pédagogiques avec de suggestions d’exploitation en
classe. Ces huit boîtes de cassettes abordent des
disciplines scolaires de manières diverses : le portugais,
les mathématiques, l’histoire, la géographie et les
sciences. En septembre, la série “Abrindo o Jogo” (“Jouons
franc jeu”) donne des information sur la sexualité ; une
autre série consacrée aux professeurs se penche sur le
premier cycle de formation. Nous constatons donc que
personne n’est oublié dans le système éducatif et
surtout pas les professeurs.
En
effet, Multirio n’hésite pas à lancer des campagnes de
formation aux nouvelles technologies parmi les professeurs.
Il ne s’agit pas d’en faire des spécialistes mais de
leur donner des notions de base qui vont diversifier et améliorer
leur pédagogie et la transmission du savoir. Ainsi un cours
commencé par une émission (télévision ou cassette vidéo)
pourra être complété et enrichi par des recherches sur
Internet ou à la bibliothèque. Tous les moyens techniques
doivent être utilisés et doivent être utilisables pour la
formation des brésiliens.
Le
projet pédagogique “Pluie, tonnerre, éclair” en est un
exemple parfait. A partir du thème lancé, les élèves en
sont venus à parler de la violence familiale et plus
largement de celle qui existe dans leurs quartiers. Certains
ont fait des dessins (rôle cathartique), d’autres ont décidé
de faire des interviews dans la ville et dans les favelas.
Très solidaires dans les recherches pour préparer et créer
un site sur Internet (plans de Rio, utilisation de cédéroms,
choix de personnes à contacter...), les enfants ont aussi
écrit des textes très intéressants. Les questions
d’identité et de citoyenneté ont ainsi été abordées.
C’est ce type de projet qui est à l’origine d’une
collaboration active avec les Etats Unis.
Enfin
un autre projet interactif utilisant Internet est
remarquable. Dans le cadre de l’émission “Dans les
gradins”, des propositions de débats sont disponibles sur
un site. Les jeunes internautes peuvent à tout moment
donner leur avis, faire des suggestions et participer à
l’élaboration du programme. Les thèmes abordés dans la
prochaine émission sont dévoilés pendant la semaine qui
précède. Les professeurs peuvent donc en profiter pour
organiser des débats dans leurs classes. Le résumé des
discussions peut être mis en ligne. Pendant l’émission,
les présentateurs ont accès au site et alimentent le débat
en direct avec les contributions “virtuelles”.
Aujourd'hui
encore Multirio ne manque pas de projets. L'entreprise
envisage même de collaborer avec d'autres pays comme la
France.
Même
si l’enseignement multimédia rencontre un grand succés
au Brésil, l’équipement des écoles et la formation des
professeurs posent encore
problème. L’option choisie par le gouvernement ne
doit pas créer un autre type d’exclusion sociale basée
sur l’accés ou non aux nouvelles technologies mais doit
participer à la formation de l'ensemble de la population.
Les projets sont pour l’instant essentiellement tournés
vers l’enseignement fondamental afin de vaincre
l’analphabétisme et de donner aux brésiliens un minimum
de formation de qualité. Cependant dans l’avenir,
l’enseignement multimédia devra aussi s’ouvrir plus
largement à l'enseignement supérieur. Le Brésil qui a
participé au Marché mondial de l’éducation organisé
pour la première fois
à Vancouver au Canada (mai 2000) connaît les défis
qui l’attendent pour le siècle prochain.
Sources :
- Conférence de la Multirio, Brésil, août 2000